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de Philippe

    

 

 Quelques histoires  :   Un forgeron Breton


 

Témoignage de Yves Allain de Trédrez-Locquémeau à propos des forgerons de Ploumilliau et de Trédrez-Locquémeau :


Une de mes distractions préférées était ma visite presque quotidienne à la forge de « Job ar Floc´h ». Dans la famille Le Floc´h, tous les garçons devenaient forgerons de père en fils. Félix exerçait son métier au bourg de Ploumilliau sur la route de Saint-Michel, Victor au bourg de Kéraudy et Job l'aîné sur la route de Plouaret à droite avant d'arriver au cimetière. Victor et Félix tenaient en même temps un café, comme il était d'usage à cette époque. Job n'avait pas voulu s'embarrasser d'un tel fardeau, il se consacrait entièrement à sa forge. C'était une petite maison basse, un « penty », la dernière d'une rangée de maisons contiguës, toutes identiques, la dernière étant celle de mes tantes.

Du matin au soir, on entendait le bruit du marteau frappant l'enclume comme une cloche et sa sonorité cristalline se fondait agréablement dans le calme et la douceur des soirs d'automne. Job me recevait toujours avec le sourire, un oeil sur le fer incandescent qu'il posait délicatement sur l'enclume avant de le marteler pour lui donner sa forme.
La pièce était obscure. Seule une toute petite fenêtre, à moitié obstruée par les toiles d'araignées laissait filtrer une lumière douce et indécise. Cette pénombre, je la trouvais un peu inquiétante. En y pénétrant, je distinguais mal la foule d'objets hétéroclites accrochés aux murs, des outils mystérieux dont l'usage m'échappait. Du matin au soir, le charbon incandescent rougeoyait dans l'énorme cheminée. La flamme activée par un énorme soufflet finissait par donner aux visiteurs l'impression d'entrer dans le domaine de Vulcain.

Lorsque Job battait le fer d'une frappe régulière, une gerbe d'étincelles jaillissait autour de lui, véritable feu d'artifice du plus bel effet qui faisait mal aux yeux mais qui me plaisait par dessus tout. Cette féerie était brève, car il fallait très vite plonger le fer dans la braise incandescente. L'atmosphère était imprégnée d'une odeur particulière qu'on retrouvait dans toutes les forges d'autrefois : mélange compliqué de cornes brûlées, de charbon mouillé que Job déposait de temps en temps dans le foyer. Cette savante alchimie dont il avait le secret provoquait en moi un plaisir immense que j'avais du mal à définir. Job, imperturbable, battait le fer, et la blancheur blafarde de son visage se détachait curieusement dans la demi-obscurité qui régnait dans son antre.

Le ferrage des chevaux était particulièrement intéressant. Il fallait voir avec quelle aisance il immobilisait avec une courroie la jambe du cheval pour lui interdire toute ruade. Job avait l'art de calmer la bête qui se laissait faire en toute confiance. Il émanait de lui une telle sérénité communicative qu'elle se laissait manipuler sans qu'il y ait de sa part la moindre manifestation d'hostilité. On aurait dit qu'il existait entre lui et l'animal une espèce de symbiose qui facilitait grandement son travail.

Il saisissait la jambe du cheval entre ses cuisses, le dos tourné vers l'animal et rapidement arrachait le vieux fer à l'aide d'une tenaille. Commençait alors un travail de précision. Avec un outil tranchant, il enlevait la vieille corne et le sabot devenait propre et net. Il fallait avoir une grande connaissance du métier pour ne pas blesser l'animal. Il choisissait alors dans une impressionnante collection de fers neufs celui qui convenait le mieux à la taille du sabot. La plupart du temps, c'était de grands modèles, car les chevaux de trait bretons avaient une taille impressionnante. Leur puissance n'effrayait pas Job quoique certains animaux vicieux lui donnaient parfois du fil à retordre. Mais Job avait toujours le dernier mot !

Le fer rougi au feu, couleur cerise, était alors appliqué bien à plat sur le sabot pour lui donner une assise parfaite. Il se dégageait alors une odeur de corne brûlée qui se répandait dans le bourg, agressant les narines sensibles de certaines commères que tout dérangeait ! Le fer posé bien à plat était solidement fixé par d'énormes clous à tête carrée qui ressortaient sur les côtés du sabot, dans la partie inerte de la corne. Quelques coups de tenaille pour les raccourcir, quelques coups de marteau pour les aplatir et le travail était terminé. La jambe immobilisée puis libérée, le cheval semblait manifester sa joie par un hennissement joyeux. Avec ses quatre pattes, il n'était pourtant pas au bout de ses peines !

Une opération aussi intéressante était le cerclage d'une roue de charrette. Le cercle métallique à la dimension approximative de la roue était chauffé au rouge dans un énorme brasier puis encastré de force sur la roue. Job projetait ensuite de grands seaux d'eau sur le cercle. La contraction du métal emprisonnait la jante, le cerclage se terminait dans un nuage de vapeur qui mettait très longtemps à disparaître.

Je n'eus pas le plaisir de lui rendre visite pendant toute la durée de mon séjour chez les tantes. Un jour, j'appris qu'il était très malade. La forge fut fermée. On n'entendit plus du matin au soir le bruit cristallin du marteau sur l'enclume, on ne respira plus l'odeur âcre de la corne brûlée. Quelque chose subitement manquait à notre entourage, à mon entourage devrais-je dire, car je ne pensais pas que les habitants du bourg fussent aussi sensibles que moi au chant de l'enclume et du marteau.
Job ne fut pas longtemps malade. Quand il mourut, les tantes m'obligèrent à les accompagner chez le défunt pour réciter une prière comme il était d'usage à cette époque. Cette visite mortuaire m'impressionna beaucoup. Je n'avais que 11 ans. Etait-elle indispensable ? Je ne le crois pas. Pendant longtemps j'ai eu dans la tête l'image de Job allongé sur son lit et cette fade odeur d'eau de lavande que la famille avait dû asperger abondamment pour assainir l'atmosphère. Plusieurs années durant je n'ai jamais pu la supporter !

 
Dernière modification : 23/09/2012