Philippe
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Quelques histoires
Mémé
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de Philippe

    

 

  Quelques histoires  :   Mémé


 

    Yvonne Morvan, ma grand-mère adorée qu'on appelait Mémé, me racontait des histoires de son enfance. J'en ai enregistrées et retranscrites en essayant de les déformer le moins possible. Sa famille a habité le Finistère, dans le pays du Léon, à Tréflévénez, puis Kérifin (elle avait quatre ans), puis Tréflévénez à nouveau.

Un chalutier à vapeur    Mon arrière-grand-père (son père) était forgeron sur un chalutier à vapeur de la marine marchande : le « Terre Neuva ». Il s'occupait de l'entretien et de la réparation des machines et des parties métalliques du bateau. Il partait de Brest, restait en mer pendant deux ans et revenait passer quinze jours à Tréflévénez. Puis il repartait à Brest. Il allait à Terre Neuve, à l’île Saint Louis (La Réunion), au Groenland, à la Guadeloupe, à Miquelon, en Martinique. Il mesurait 1,75 m à peu près, et avait les cheveux coiffés sur le front avec une raie au milieu. Pendant la guerre de 14-18, il se battit dans les arrière rangs avec un monsieur de Tréflévénez. A son retour de la guerre, il resta à terre employé chez un  forgeron.

La tabatière en corne   Mon arrière-grand-mère, Mamm, travaillait dans une ferme. Comme toutes les femmes de marin, elle cultivait les champs, de pommes de terre surtout, aidée par ses enfants lorsqu’ils n’étaient pas à l’école. Elle consommait beaucoup de café. La cafetière en terre était toujours au chaud dans un coin de l’âtre. Ses enfants devenus adultes lui avaient offert une cuisinière à charbon, mais elle ne voulait pas s’en servir : elle préférait le feu de bois. La cuisinière inutilisée trônait dans un coin de la pièce principale, rutilante. Mamm prisait contre le mal de tête, sur avis de son docteur. Mémé a gardé la tabatière en corne (voir photo animée) qui contenait encore un peu de tabac. Nous l’avons essayé : il était toujours très fort !

    Pendant la guerre de 14-18, il y eut un très grand froid. Mamm, sous ses longues jupes, mettait des caleçons longs du Grand-père, et des bas par dessus pour ne pas qu'on les voie. Il y avait beaucoup de travail pour les femmes durant cette sombre période. Il n’y avait plus d’hommes, donc plus de chasseurs. Les sangliers proliféraient et dévastaient les champs de pommes de terre. Les quelques hommes qui restaient en ont tué 19 lors d'une seule battue !

    Mamm a habité Tréflévénez, puis beaucoup plus tard chez sa sœur Jeanne à Guingamp. Elle déjeunait chez Tante Jeannette qui tenait l'auberge de la Tour d'Argent juste à côté. Elle attendait sa « petite goutte douce » (un apéritif doux) qui tardait à venir parfois lorsque Jeannette avait des clients. Elle comprenait le Français, mais le parlait peu : elle parlait Breton. Mamm allait travailler dans le jardin jusqu’à 90 ans. Elle cultivait des fraises. Je me souviens être allé en récolter avec elle. On n'avait pas trop le droit d'en manger, ce n'était pas marrant ! Elle rouspétait, en Breton, après le jardinier de l'auberge : « c’est pas comme çà qu’il faut faire ! ».

    Le navire de mon Arrière-grand-père ne revenait à Brest que tous les deux ans, donc les six sœurs Morvan étaient toutes nées avec 2 ans d'écart. Le dernier enfant, François, est né avec quatre ans d'écart (ma grand-mère se demandait pourquoi). Ce petit frère était adoré par tous. Malheureusement, il est décédé après la deuxième guerre mondiale lors d'une explosion à Marseille. Il était marié avec une algérienne, Hélène, et ils habitaient à Martigues.

La famille Morvan    Mamm et ses filles formaient un noyau féminin très soudé. Quand j'étais petit, j'allais avec mes parents et mes trois frères chez mes tantes Jeanne et Jeannette à Guingamp.

    Ma tante Jeanne était mariée à un officier. Elle le suivait dans les colonies. Elle était crêpière. Elle savait en faire qui se conservent parfaitement, et ce sans additifs (je connais le secret ;-). Elle fournissait des bateaux qui partaient plusieurs mois en mer.
    Lorsque nous dormions chez elle, nous avions droit au petit déjeuner à un grand bol de café au lait ou de chocolat et une grande pile de crêpes dans laquelle nous pouvions nous servir à volonté avec du beurre, de la confiture et du miel. Ma tante était toujours étonnée du nombre de crêpes que mes frères et moi pouvions ingurgiter ! C'est ainsi que je n'aime que les crêpes faites à sa manière :  grandes, fines, dorées, dentelles. "Krompoez vara bilig" disait-elle : "crêpes au bilig". Ma mère lui avait offert un bilig moderne à gaz.

    Ma tante Jeannette était propriétaire du restaurant "La Tour d'Argent" à Guingamp. Elle était indépendantiste Bretonne passionnée et connaissait plein d'artistes. Elle avait une très belle voix grave lorsqu'elle chantait. Elle nous emmenait dans des festivals, des Fest-Noz. Elle m'offrait des disques de musiciens de sa connaissance. Elle a habité Tréflévénez, Paris, Guingamp, et enfin Loc Envel (village de Saint Envel venu de Grande-Bretagne au VIè siècle évangéliser la région).

    Yvonne, ma grand-mère, lorsqu'elle avait 7 ans, devait faire une demi-heure de marche pour aller de Kérifin à l’école de Tréflévénez.  Il fallait traverser trois bois : koat kozh, koat /krejz/ et koat /vinilik/. Il y avait ensuite une grande prairie qui tournait. Dans le coin, trois sangliers surgirent. Elle revint en courant jusqu’à une maison au bout de la prairie et est montée sur un talus. Les trois sangliers ont traversé la prairie pour aller dans le bois, sans faire attention à elle. C'était une des plus grosses peurs de sa vie (pourtant, elle a connu deux guerres !). 

Sabots de ma grand mère à 7 ansUn hiver, en revenant de l’école, il y avait du vent. Au même endroit (dans la prairie), il y avait un bruit insolite. Ma grand-mère prit une poignée d’herbe et la serra fort dans la main pour ne plus se sentir seule ! C'est ce que faisaient les petits Bretons pour se tenir compagnie.

Autrefois, on marchait beaucoup pour se déplacer. On utilisait des sabots en bois et en cuir dans lesquels il fallait mettre d'épaisses chaussettes (sur la photo, les sabots d'enfant de ma grand-mère à 8 ans).

    Quand mémé eut 12 ans, elle fut naturellement placée dans une ferme à Bézidou par sa mère. Le samedi, elle devait aller au marché à Landernau pour vendre des œufs et du beurre. Elle partait à huit heures du matin et devait faire seize kilomètres aller-retour à pied. Elle revenait à deux heures et devait frotter les bancs arrondis qui bordaient la table commune, avec la brosse. Ensuite, le soir, elle devait traire les vaches.

    Mémé avait emprunté le cheval Rosette et le chariot de son patron pour le second déménagement (Kérifin – Tréflévénez). Elle est revenue tard, et elle s'est fait vertement disputée. Elle voulait quitter cette ferme. Tante Françoise, sa sœur, lui trouva un emploi de nurse chez les propriétaires du plus grand hôtel d’Elbeuf (76). Le fermier qui l’employait insista pour qu’elle reste à son service. Il lui offrit une forte augmentation :
- Si tu restes, je te donne 60 F par mois au lieu de 20 F.
- Je m’en vais pour gagner 150 F sans travailler la terre, çà ne m’intéresse pas !

C'est ainsi qu'elle quitta sa campagne bretonne. Elle avait 16 ans. Le fermier a pleuré son départ, mais lui a quand même fait un certificat de travail élogieux. Ma grand-mère revenait toujours le voir pendant ses "permissions" (c'est comme çà qu'elle appelait ses congés).

    Ma tante Françoise était excellente cuisinière dans une grande famille de drapiers à Elbeuf, les Blin. Elle s’appelait Mariannick, mais ses patrons l'avaient renommée Françoise parce qu’une autre servante s’appelait Marie. Ce second prénom lui est resté. Elle a ensuite habité Paris, je la voyais peu. Les patrons autorisaient ma Tante Françoise à utiliser leur propriété en Normandie lorsqu’ils partaient en vacances. Elle en profitait pour inviter sa famille.

Les 4 soeurs Morvan    Les quatre sœurs (voir photo) entonnaient parfois des chansons en breton, elles chantaient très bien. J'avais enregistré Mémé et tante Jeanne en duo, j'ai malheureusement égaré la cassette. Je me souviens d'un refrain : Turlutit Vanlan Luis Fanfan Lalitra ... Si un de mes lecteurs pouvait me donner des informations sur cette chanson, je lui en serai reconnaissant ...


   C'est ainsi que j'ai baigné dans la culture et la musique Bretonne. Lors d'un voyage en Irlande à l'âge de 20 ans, j'ai commencé à souffler dans un tin-whistle avec des musiciens dans des pubs. Ils me disaient que je jouais aussi bien qu'un Irlandais, ce qui m'a incité à continuer.  J'ai ainsi  étendu mon répertoire de musique celtique.


Remerciements à tous ceux qui m'ont aidé à mettre en place les pièces de ce puzzle : ma famille, la famille Coeffeur de Tréflévénez.

 

 
Dernière modification : 23/09/2012